Affaire Christiane K, la mère diabolique | Le Nouvel Observateur, 2022

« La première fois que j’ai entendu parler de Christiane K., j’essayais de télé- travailler en gardant ma fille qui avait choisi de faire son « Terrible Two » lors du confinement. C’était en septembre 2020 : on avait six mois de pandémie dans les pattes, mes journées ressemblaient à celle de la Femme Gelée d’Annie Ernaux, rythmée par les notifications des morts du Covid-19. Si la santé mentale globale a dégringolé pendant l’épidémie, les parents et surtout les femmes, ont payé le prix fort. Il n’y a pas une mère que je connais qui n’ait pas fini en burn out.

Christiane elle, a vrillé dans les règles de l’art : entre deux lockdowns, elle a tué cinq de ses six enfants, l’un des pires infanticides qu’ait jamais connu l’Allemagne. La nouvelle a bouleversé le pays et fait le tour du monde, du Bild au Daily Mail sous ce titre : « Evil Mum » (la « mère diabolique »). En novembre 2021, au terme d’un procès durant lequel elle n’a pas prononcé un mot, elle a été condamnée par le tribunal de Wuppertal à la prison à perpétuité, 22 ans de réclusion incompressible. La plus lourde peine d’enfermement réservée en Allemagne aux terroristes et aux mauvaises mères de famille.

La sanction m’a intriguée. Quel danger cette femme représentait-elle pour la société au point de devoir passer le restant de ses jours en prison ? Même s’il n’existe pas de statistiques officielles, les infanticides ne sont pas rares : on estime qu’une centaine d’enfants sont tués chaque année par l’un ou l’autre de leurs deux parents. Un tous les trois jours, un chiffre stable. On sait que l’infanticide reste l’un des crimes les plus féminins, à 90% pour les nourrissons tués dans les 24 heures suivant leur naissance. Les enfants plus âgés sont tués eux en majorité par leurs pères.

Qui était cette femme ? Qu’est-ce qui pousse une mère à tuer ses enfants ? Un épuisement physique et émotionnel ? Une maladie mentale ? Les homicides sur mineurs de moins de 15 ans ont des ressorts singuliers. Mais l’intime s’inscrit toujours dans un contexte social et politique plus large. Aujourd’hui, on sait que les lockdowns successifs ont eu un effet dévastateur sur les femmes avec une explosion des violences domestiques (+30% pendant le premier confinement dans le monde selon des chiffres de l’ONU) et des agressions contre les enfants. En Allemagne, les crèches et les écoles sont restées fermées pendant huit mois d’affilée, entre octobre 2020 et mai 2021. Comme si les mesures de lutte contre la pandémie avaient été décidées par des responsables politiques ayant soit des balcons, soit pas d’enfants.

Après l’avoir rencontrée en prison, Christiane K. est devenue le symbole des violences feutrée qui se sont exercées dans des millions de foyers pendant les confinements. Et dans le tourbillon post #MeToo, mis à mal par deux ans de pandémie, j’ai commencé à me demander à quel point la justice pénale était genrée. »

Episode 1 | « Sur WhatsApp, elle regarde la photo de profil de son ex. Son cœur fait un bond. »

Episode 2 | « Oui, envoie la police à la maison. Les enfants sont morts. »

Episode 3 | « Elle a trois défauts, elle est jeune et jolie. Elle plaide non coupable. »

Episode 4 | « A 16 ans, Christiane est une adolescente qui coule. Mais elle ne crie plus. »

Episode 5 | « La Hasselstrasse où elle vivait est le terminus de la ligne de bus. »